janvier 5, 2018

Placements privés canadiens : un problème à 1 billion de dollars

Un montant énorme en capital canadien dormant pousse la tension des investisseurs mondiaux au paroxysme. Jeffrey Jones et Jacqueline Nelson se plongent dans un climat de concurrence sans précédent depuis plus de dix ans.

Les plus grands investisseurs canadiens sont confrontés à un problème de 1 billion de dollars.

Un montant en capital spectaculaire de 1 billion de dollars américains quasiment le double du montant disponible en 2012 attend d’être utilisé par les investisseurs privés dans le monde entier. Tant de sociétés cherchent à conclure des transactions actuellement que cela crée le climat d’investissement le plus compétitif depuis plus de dix ans.

Outré cet amoncellement de liquidités, des centaines de milliards de dollars s’accumulent dans les fonds destinés à d’autres catégories d’actifs privés. Certaines d’entre elles sont destinées à des projets d’infrastructures telles que la construction de routes, de lignes électriques et d’aéroports. D’autres seront utilisées pour racheter des biens fonciers, investir dans la dette privée ou pour prélever des ressources forestières ou d’autres ressources naturelles. Par ailleurs, les collectes de fonds né s’arrêtent pas. Début 2018, il y avait 3 484 investisseurs courtisant les fonds de placement privé pour obtenir encore plus de capital selon Preqin, fournisseur de données financières sur le marché des actifs alternatifs.

Il suffit de rappeler à certains l’humeur exubérante qui régnait avant la crise financière, lorsque 12 des 15 plus importants rachats par emprunt ont été réalisés, peu de temps avant que l’industrie et l’économie mondiale subissent le contrecoup de l’arrêt du crédit facile.

« Ce sont quelques-uns des éléments de 2007 », déclare Simon Marc, chef mondial des Placements privés chez Investissements PSP basé à Londres, qui investit environ 140 milliards de dollars au nom d’employés du gouvernement fédéral, dont la Gendarmerie royale du Canada.

Il a ajouté que le climat actuel fait que les sociétés de placement privé hésitent entre l’attrait de la vente d’actifs et celui de les acheter. Il est difficile, d’une part, d’ignorer une flambée du marché où les prix dépassent souvent les prévisions. D’autre part, les solides conditions économiques et du marché ont généré d’importants bénéfices au sein de nombreuses industries, justifiant le fait de freiner ou de réaliser de nouveaux investissements.

« Nous allons être très prudents et très sélectifs dans ce que nous faisons », a affirmé Simon Marc. « Cependant, nous né pouvons pas non plus rester sans rien faire. »

Plus que jamais, les enjeux sont importants pour de nombreux investisseurs canadiens du marché privé, dont les principales caisses de retraite, les compagnies d’assurance et d’autres acteurs tels que Onex Corp. et Brookfield Asset Management Inc. Au cours de la dernière décennie, les grands fonds canadiens sont devenus encore plus grands et ont acquis le poids nécessaire pour concurrencer les acteurs les plus fortunés au monde dans le domaine des investissements privés. Toutefois, avoir sa place parmi la foule des investisseurs représente un nouveau défi. Tout échec coûterait très cher.

Lors du dernier effondrement du marché des rachats, les pertes ont été nombreuses. De grandes sociétés réputées en ont fait les frais lorsque des transactions conclues au moment où le marché était le plus enfiévré ont mal tourné.

Le plus important rachat par emprunt de tous les temps, l’acquisition pour un montant de 45 milliards de dollars de l’unité texane de TXU Corp. en 2007 par un groupe composé de KKR & Co., de TPG Capital Management et d’une branche de Goldman Sachs, s’est avérée un échec monumental. L’entreprise renommée Energy Future Holdings a dû faire face à une chute des prix du gaz naturel et à un recul des franchises de détail. Submergée par une dette de 42 milliards de dollars, elle s’est placée sous la protection du chapitre 11 du Code américain des faillites en 2014.

Apollo Global Management et TPG ont réalisé l’acquisition de l’exploitant de casinos Harrahs Entertainment Inc. au début de 2008 pour un montant de 30 milliards de dollars, et l’ont renommé Caesars. La chance a tourné le dos aux acheteurs – un fort endettement et un nombre plus faible de joueurs ont conduit l’entreprise à se mettre en liquidation en 2015 et entraîné sa restructuration.

De plus, lorsque les répercussions de la crise des prêts hypothécaires aux États-Unis ont mis à genoux le marché du financement par emprunt, de nombreux acheteurs ont dû renégocier des opérations ou y renoncer. Les Canadiens se souviendront notamment de cette affaire perdue : l’acquisition pour un montant de 51 milliards de dollars (canadiens) de BCE Inc. par un groupe dirigé par le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario. Summum de l’excès d’orgueil au cours de cette période, l’opération de financement par endettement s’est effondrée lors de la crise fin 2008, après des mois d’incertitudes et de drames sur les capacités des banques à organiser le financement. 

Une décennie plus tard, ce monde est redevenu un monde de monstres – de gigantesques fonds aspirant à d’énormes transactions. Le financement du plus gros fonds d’investissement, l’Apollo Investment Fund IX, a été réalisé au cours du troisième trimestre 2017, rassemblant 24,7 milliards de dollars (américains). D’autres fonds sont en voie de dépasser ce montant, dont le China Structural Reform Fund et le China State-Owned Capital Venture Investment Fund.

Les principales questions portent désormais sur le fait de savoir dans quoi tout cet argent sera investi, et comment il peut dégager de solides rendements sur un marché mondial où les valeurs des actifs – des grands groupes aux sociétés immobilières, en passant par les infrastructures publiques – sont déjà considérées comme gonflées. Certains fonds, notamment aux États-Unis, ont choisi de placer de l’argent dans des fonds cotés en bourse en attendant un refroidissement des marchés et l’émergence de meilleures cibles.

« Les valorisations sont clairement très tendues dans le monde entier. Cependant, cela n’entraîne pas nécessairement une récession », déclare Mark Machin, chef de la direction de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada. Selon lui, le fonds né cesse de réaliser des essais de stress pour voir comment ses investissements supporteraient des conditions économiques plus difficiles.

Les valeurs des actifs ont grimpé du fait d’une décennie d’argent à bon marché due aux politiques d’après-crise des principales banques centrales du monde. Les marchés boursiers sont désormais en effervescence dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis. Cela contribue également à l’inflation des actifs privés. Dans son rapport annuel publié début 2017, Bain & Co. déclare que des acquisitions supplémentaires avaient atteint des records aux États-Unis et en Europe, pour des montants plus de 10 fois supérieurs au bénéfice avant intérêts, impôts, et amortissements (BAIIA). Un rapport plus récent de la plateforme de données Pitchbook a montré que les opérations supplémentaires de fusions et acquisitions en Amérique du Nord avaient atteint les niveaux les plus élevés jamais enregistrés.

« Il s’agit sans cesse d’enchères qui surprennent les gens par leur agressivité », déclare Bruce Rothney, chef de la direction chez Barclays au Canada. « Malgré ce qu’ils considèrent comme une offre plus qu’audacieuse de leur propre part, ils poussent leurs conseils d’administration quasiment à l’extrême pour finalement se rendre compte que quelqu’un d’autre a été encore plus audacieux qu’eux. »

Mark Machin de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada, affirme pour sa part qu’il sera important d’être prêt à foncer lorsque les valeurs seront moins coûteuses.

« Une période de récession est le bon moment pour faire réellement de bons investissements à des prix vraiment intéressants. Nous voulons être sûrs d’en avoir les capacités », ajoute-t-il.

Dans ce cadre, comment les Canadiens peuvent-ils rivaliser et atténuer les risques pour leurs parties prenantes? Se montrer au bon moment avec un portefeuille bien garni n’est plus suffisant. Il est temps d’être créatif.

Les investisseurs institutionnels canadiens déplacent leurs pions pour faire valoir leurs atouts et mettre en place de nouvelles façons de se démarquer. Pour ce faire, ils établissent notamment des relations avec des familles possédant de grandes fortunes dans des pays lointains, se préparent à la transition énergétique pour les années à venir, soutiennent les actifs liés aux infrastructures qu’ils peuvent conserver pendant des décennies et recherchent plus d’investissements de niche comme l’industrie florissante du cannabis, pour réaliser d’importants rendements.

RELATIONS INTERNATIONALES

L’important n’est pas ce que vous savez, c’est qui vous connaissez.

Ce dicton est devenu dernièrement parole d’évangile pour certains des plus grands investisseurs du pays.

Face à cet environnement de transactions compétitif, et afin de dégager les plus importants rendements, les institutions mettent en place des équipes de dirigeants et recrutent dans des pays lointains plus de chasseurs professionnels de bonnes affaires très expérimentés en la matière. L’Office d’investissement du régime de pensions du Canada a des centres à Sao Paulo et à Mumbai. Son chef de la direction, Mark Machin, a travaillé pendant près de 20 ans sur les marchés de la région Asie-Pacifique avant d’occuper un poste de haute direction. Investissements PSP a ouvert officiellement un bureau à Londres cette année et prévoit d’ouvrir son prochain bureau à Hong Kong. Brookfield a investi plus en Inde, où son équipe des infrastructures entrevoit plus de perspectives dans le secteur des télécommunications.

Cette stratégie va beaucoup plus loin qu’un simple travail sur le terrain. Plutôt que d’attendre pour faire des offres lors d’enchères compétitives, certains fonds canadiens courtisent tranquillement et patiemment de grandes fortunes à l’international en qui ils voient la source unique de possibilités d’investissement.

Cette méthode de conclusion de transactions demande souvent des années de réunions pour établir une relation de confiance avec des entreprises familiales et de potentiels partenaires avant de pouvoir signer une transaction. Cependant, une fois bien établies, les relations avec ces familles de toute première importance peuvent permettre d’accéder à des réseaux d’investisseurs privés en Europe et en Asie ainsi qu’à des perspectives autres que celles du circuit des enchères compétitives.

Séduire ces familles à l’étranger est devenu au cours des dernières années une stratégie plus importante pour certaines caisses de retraite. Ces fonds estiment qu’ils peuvent être de meilleurs partenaires pour les gestionnaires de grandes fortunes que les sociétés de placement privé traditionnelles grâce à leurs horizons d’investissement de longue date, leur aisance en matière de participations minoritaires et leurs cultures de gestion plus conviviales.

« C’est comme un club privé … Il s’agit d’un réseau différent du réseau classique d’investissements financiers », déclare Stéphane Etroy, chef des placements privés à la Caisse de dépôt et placement du Québec basé à Londres, lors d’un récent voyage à Toronto.

La Caisse emploie des équipes spécialement chargées d’établir des relations avec des gouvernements, des entrepreneurs et d’autres dirigeants sur les marchés locaux des pays dont elles parlent la langue. Selon lui, une fois qu’une transaction a été conclue avec une grande fortune, on fait partie de la famille.

Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les occasions d’établir des partenariats avec de grandes fortunes sont plus rares, car les marchés sont plus mûrs. D’après les investisseurs, il en résulte moins de fonds et des fonds moins actifs.

En revanche, en Europe continentale, la diversité des pays et des cultures se traduit par plus de participation, notamment dans les entreprises industrielles.

De plus, il y a eu un accroissement du nombre de riches entrepreneurs, notamment en Asie, en Inde et en Chine, selon le Asia Pacific Centre for Family Business Excellence dirigé par PricewaterhouseCoopers, qui a ouvert ce centre de conseil en 2016. Selon M. Etroy, un grand nombre de ces entrepreneurs sont motivés par la volonté de laisser un héritage, et sont plus attirés par la stratégie à long terme des caisses de retraite que par le modèle utilisé par d’autres acquéreurs de capitaux privés.

Au début de cette année, la Caisse a pris une participation de 40 % dans Sebia SA, fournisseur français de matériel médical, qui, aux dires de M. Etroy, est représentatif des partenariats recherchés par le fonds. Cette opération a impliqué la participation de Tethys Invest, un fonds d’investissement détenu par la famille française Bettencourt-Meyers, et le chef de la direction de la Caisse Michael Sabia est venu en personne à Paris pour sceller la relation.

Concernant cette relation, M. Etroy ajoute « Nous pensons pouvoir réaliser plus d’affaires ensemble. » Un grand nombre de transactions conclues avec des familles sont moins risquées que des participations minoritaires dans des entreprises sans stratégie de retrait. Bien que la Caisse puisse détenir une participation de base pendant près de trois ou quatre ans, un grand nombre d’affaires de cette famille ont duré bien plus de dix ans.

D’autres caisses de retraite renforcent leurs équipes chargées des relations. L’année dernière, le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (RREO) a lancé un service responsable du développement des relations d’investissement sur le plan mondial qui coordonnera les nombreux partenariats établis par le fonds grâce à ses opérations d’investissement réalisées dans le monde entier. Ron Mock, chef de la direction du fonds, déclare « Ce service a pour objectif de créer un réseau ».

Alors que les grands investisseurs canadiens sont à la recherché d’affaires à l’étranger, d’autres acquéreurs internationaux se tournent vers le Canada pour leur recherché, même si leurs cibles sont généralement plus petites.

« Beaucoup plus de fonds étrangers, notamment les fonds américains, sont intéressés par les entreprises de taille intermédiaire canadiennes », déclare Jake Bullen, avocat de Cassels Brock & Blackwell LLP spécialisé dans les opérations de financement par placement privé. « Il y a énormément d’intérêt, beaucoup de possibilités et le résultat est un marché très compétitif pour des entreprises solides. »

« L’intérêt croissant des fonds américains pour le Canada a ses avantages – il peut permettre aux acteurs nationaux de vendre des entreprises et dégager de solides rendements en temps opportun », déclare Brent Belzberg, fondateur de TorQuest. Torquest a cédé au mois d’août une participation majoritaire dans SCM Insurance Services à Warburg Pincus dont le siège se trouve aux États-Unis. En 2015, la société a vendu le fournisseur canadien de solutions de marchandisage et de présentoirs en magasin, Array Marketing, au groupe Carlyle.

« Nous avons une activité incroyable de création d’arbitrage entre le moment où des entreprises que nous connaissons bien grâce à nos relations au Canada peuvent être formées et celui où nous les amenons à suffisamment de maturité pour pouvoir les céder par le biais de banques d’investissement de niveau international à des personnes pour lesquelles les frontières né constituent pas un obstacle », ajoute Brent Belzberg.

L’AVENIR ÉNERGÉTIQUE

Les fonds d’investissement canadiens financent une grande partie de la transition vers les énergies renouvelables.

Brookfield Asset Management, qui est l’un des plus grands investisseurs mondiaux dans ce secteur, se concentre principalement sur des investissements dans l’énergie hydraulique ainsi que dans l’énergie éolienne et solaire. Ce jeudi, la société a annoncé un appel d’offres d’un montant de 4,6 milliards de dollars pour racheter Westinghouse Electric Co., le géant des centrales nucléaires en difficulté, à la société japonaise Toshiba Corp., qui a été l’une des autres sociétés à s’écarter des centrales au charbon.

La Caisse a également accru des investissements déjà importants, en prêtant récemment 150 millions de dollars (canadiens) à Innergex énergie renouvelable inc. ainsi qu’en prenant une participation de 288 millions de dollars dans Boralex inc., qui dirige des projets éoliens, solaires et hydrauliques au Canada, en France et aux États-Unis.

L’industrie des énergies renouvelables estimée à 300 milliards de dollars (américains) par an, attire de plus en plus, étant donné que le gouvernement canadien et d’autres gouvernements dans le monde renforcent les règlements sur les émissions de carbone et que l’industrie des combustibles fossiles sort de sa troisième année de récession qui a entraîné un important retrait des investisseurs des marchés publics et privés.

« La différence entre le monde actuel des technologies propres et le monde d’il y a 10 ans réside dans le fait que de véritables rendements peuvent être générés sans l’aide massive de subventions gouvernementales », déclare Tom Rand, directeur général d’ArcTern Ventures, qui investit dans des entreprises offrant de nouvelles technologies qui contribuent à l’intégration des énergies renouvelables dans les systèmes énergétiques actuels.

Il suffit pour cela aux investisseurs privés de repérer les technologies qui leur permettront d’être des précurseurs en matière de financement de grands projets d’expansion avant que la foule des autres investisseurs né se manifeste.

« L’économie change, mais certains né s’en sont pas encore aperçus. Nous allons inexorablement vers une économie à faible émission de carbone. Ceux qui ont compris que c’était inévitable commencent à se demander comment ils peuvent investir pour avoir l’avantage dans le déroulement de la transition », ajoute Tom Rand. « Ils sont occupés à se frayer un chemin à la première place pour financer ces types de projets. »

Actuellement, les plus grandes innovations ont lieu dans le secteur des technologies qui permettent au réseau de distribution d’électricité de fonctionner grâce à des quantités croissantes d’énergie renouvelable. Elles cadrent bien avec les principaux investissements réalisés par les caisses de retraite et les fonds d’investissement les plus importants.

Selon lui, « C’est donc là que Brookfields et d’autres dans le monde créent un marché qui nous est destiné – un réseau électrique pas seulement avec plus d’énergie solaire, mais un réseau intelligent, avec une capacité de stockage, des systèmes électroniques de puissance tout ce qui va se passer un peu plus tard. »

ArcTern a co-investi avec divers autres acteurs tels que le fonds Kuwaiti Investment Authority, Enbridge Inc. et Financière Canoe, et prévoit de conclure ce mois-ci un nouveau financement de 150 millions de dollars (canadiens) dans le secteur des technologies propres.

TIRER PARTI D’UN BOOM DES INFRASTRUCTURES

Il né suffit plus d’être un chef de file mondial de l’exploitation des routes à péage, des ponts et de réseaux d’électricité les principaux investisseurs canadiens dans les infrastructures se doivent être plus innovants.

Il y a vingt ans, les infrastructures commençaient tout juste à être une catégorie d’actifs. Les gouvernements des pays développés ont commencé à changer leur point de vue sur des projets de travaux publics et se sont sentis plus à l’aise pour déléguer certaines responsabilités au secteur privé.

Cette tendance s’est accélérée après la crise financière, les gouvernements à court d’argent ayant cherché ailleurs des partenaires financiers. De grands investisseurs se sont manifestés, attirés par le fait que les investissements dans les infrastructures ont tendance à avoir moins de concurrence, à moins fluctuer, à être protégés de l’inflation et à avoir des durées de détention à plus long terme que d’autres actifs.

Les fonds canadiens se sont avérés de grands acquéreurs et sont désormais réputés pour leur expertise. C’est là qu’il faut être, car les gouvernements construisent à un rythme record, et les besoins en capitaux pour financer la construction et l’entretien d’infrastructures essentielles sont importants. Cependant, il y a aussi un accroissement des montants d’argent qui ont été déversés dans cette catégorie d’actifs à la suite de la crise financière. Les liquidités prêtes à être investies par les gestionnaires de fonds s’élèvent à un montant record de 160 milliards de dollars, selon Preqin Ltd. qui suit les opérations de financement par placement privé et les collectes de fonds.

« Certaines catégories d’actifs, compte tenu des taux d’intérêt très bas et de ce qui semble être des sources illimitées de capital d’investissement ont été clairement recherchées de façon très agressive », déclare M. Rothney de Barclays, en citant les infrastructures comme principal exemple. « Par conséquent, les valorisations sont devenues très élevées et les rendements difficiles. »

L’année dernière a été une année phare pour les fonds destinés aux infrastructures. Global Infrastructure Partners, une société d’investissement dont le siège se trouve à New York, a établi un record lorsqu’elle a garanti des engagements de capital d’un montant de 15,8 milliards de dollars (américains) pour son tout dernier fonds.

Toute cette concurrence pèse lourdement sur les rendements qui peuvent être dégagés par le biais de la construction d’infrastructures classiques, et amène les acteurs expérimentés à prendre plus de risques ou à se spécialiser dans des fonds uniques.

Illustration parfaite : le groupe Brookfield Infrastructure fondé il y a tout juste 10 ans qui gère désormais 41 milliards de dollars d’actifs. La société étudie de nouvelles stratégies pour stimuler la croissance cette année, dont le lancement de son premier fonds de créances destiné aux infrastructures. Elle a même dépassé son objectif de 700 millions de dollars en recueillant 885 millions de dollars dès le départ. Le financement de la dette liée aux infrastructures serait intéressant pour les caisses de retraite et les assureurs du fait de leurs flux de trésorerie contractuels de longue date soutenus par des actifs sécurisés d’infrastructures.

Il né s’agit pas toutefois de la seule façon dont l’équipe de Brookfield a cherché à se démarquer. La société possède également un portefeuille de projets d’immobilisations valant des milliards de dollars, investissements nécessaires pour conserver ou accroître ses actifs. Le chef de la direction du groupe Brookfield Infrastructure, Sam Pollock, déclarait l’année dernière que ces investissements sont généralement réalisés là où la société dégage ses plus importants rendements, car « nous né sommes pas aussi compétitifs que nous le voudrions en matière de perspectives de fusions et acquisitions lorsque nous devons faire face à de nombreux régimes de retraite. »

De plus, les investisseurs sont de plus en plus créatifs en matière de concept d’infrastructures. Chez Brookfield, l’infrastructure des données est l’un des principaux sujets de la prochaine décennie. « Les données constituent les ressources qui connaissent la croissance la plus rapide au monde », déclarait Sam Pollock dans une lettre adressée récemment à ses investisseurs. « Cette croissance suscite un besoin en investissement massif dans les réseaux de transfert et de stockage de données. »

Certains fonds ont également repoussé les limites de ce qui constitue une acquisition d’infrastructures. Après un processus de vérification diligente particulièrement long, le groupe Infrastructures du RREO et un partenaire ont réalisé l’acquisition de Westerleigh Group, le deuxième plus grand exploitant de crématoriums au Royaume-Uni, pour leur portefeuille en 2016, ayant convenu que l’élément propriété foncière ainsi que le flux de revenus généré par plus de 30 000 obsèques tous les ans y étaient qualifiés.

FAVORISER DE NOUVELLES POSSIBILITÉS

Comme les placements privés mondiaux visent de plus grandes cibles, l’expertise canadienne liée aux secteurs de niche des entreprises de taille intermédiaire est devenue un atout concurrentiel.

Jusqu’à la récession du secteur pétrolier, les vastes richesses énergétiques et en matières premières étaient recherchées tant par les fonds canadiens que par les fonds américains.

Le Canada devient désormais synonyme d’autres secteurs à la croissance rapide, outré les produits de base traditionnels. Par exemple, l’essor du cannabis qui fait les gros titres du marché boursier attire également les investissements du secteur privé.

C’est là l’exemple le plus récent d’investisseurs du secteur privé qui étendent leurs intérêts à des domaines qu’ils avaient jusque-là évités. Par exemple, la branche capital de risqué de la caisse de retraite d’OMERS, qui a été lancée en 2011, gère désormais 800 millions de dollars (canadiens) d’actifs. L’Office d’investissement du régime de pensions du Canada a investi dans la construction de logements étudiants haut de gamme et a récemment acheté, avec un partenaire, 24 biens fonciers aux États-Unis, pour un montant de 1,1 milliard de dollars.

En même temps, les fonds spéculatifs cherchent à exploiter des secteurs émergents – qui n’ont pas encore été essayés pour dégager des rendements plus importants au moment où les frais sont comprimés. Parallèlement au secteur du cannabis, les investisseurs se sont tournés vers l’intelligence artificielle, des opérations de dette privée plus byzantines et même le bitcoin, le premier fonds d’investissement dans la cryptomonnaie lancé au Canada.

Les collectes de fonds et les investissements dans les entreprises de cannabis des cultivateurs aux fabricants de produits allant du logiciel de traçage aux accessoires de vapotage deviennent rapidement des activités économiques dominantes. Le Canada attire de l’argent et réalise des transactions grâce à l’autorisation de l’industrie du cannabis récréatif, la légalisation se profilant, ce qui en fait le premier pays du Groupe des 20 à légaliser totalement le cannabis. Selon Canaccord Genuity, ce marché pourrait valoir plus de 8 milliards de dollars d’ici deux ans.

« Je vois cela un peu comme le jour d’après la Prohibition. C’est comme à l’époque de la légalisation de l’alcool, mais à une plus grande échelle », déclare Ranjeev Dhillon, avocat chez Bennett Jones à Toronto, spécialisé dans le secteur du cannabis et des fonds d’investissement. Sa société a d’ailleurs organisé début novembre un séminaire complet sur les investissements privés dans le secteur du cannabis.

« De façon générale, le Canada est considéré comme ayant un avantage de pointe et de précurseur dans ce secteur, et attire donc des personnes qui veulent placer de l’argent », ajoute M. Dhillon.

Le Canada compte déjà 74 cultivateurs autorisés à vendre du cannabis à des fins médicales et de nombreux autres ont d’autres applications en préparation. Lorsqu’Ottawa va légaliser le cannabis récréatif cette année, l’industrie prévoit un accroissement massif de la production, de la vente en gros et au détail ainsi que des biens commerciaux et d’autres services.

Doventi Capital, Nesta Holding Co., Cronos Group et Green Acre Capital figurent dans la liste croissante des acteurs du placement privé axé sur le cannabis qui cherchent à en tirer parti.

Selon M. Dhillon, « Aux États-Unis, quelques grands fonds spécialisés et grands investisseurs institutionnels généraux montrent également leur intérêt dans le secteur canadien du cannabis ».

« À mesure que l’argent rentre, vous voyez arriver des personnes d’autres secteurs – des personnes ayant des compétences en agriculture, en pharmacie ou en commerce de détail et des personnes avec une expérience dans les marchés des capitaux. Cette professionnalisation a levé les doutes des investisseurs, y compris dans le domaine des placements privés ».

Le domaine des placements privés a évité certaines des énormes valorisations qui caractérisaient des entreprises de cannabis cotées en bourse, bien que les entrepreneurs s’attendent à de semblables chocs concernant la valeur de leurs entreprises. Illustration de l’importance de ce marché, Horizons Marijuana Life Science Index, un fonds coté en bourse qui suit le rendement des chefs de file nord-américains du secteur du cannabis, a bondi de plus de 150 % depuis début de septembre.

« Ce marché est indéniablement plus difficile pour les cultivateurs, car les prix du secteur public [producteurs autorisés] sont tellement gonflés actuellement et dépendants de la situation que tous les producteurs privés pensent qu’ils devraient obtenir les mêmes prix. S’ils né les obtiennent pas, ils menaceront d’aller dans le secteur public », déclare Tyler Stuart, directeur général de Green Acre Capital, un fonds d’investissement dans le cannabis lancé au début de 2017. Par conséquent, Green Acre s’est plus concentré sur des activités annexes qu’il appelle « les pics et les pelles » que sur les cultivateurs.

« Ces activités sont moins saturées, moins compétitives, et moins de fonds institutionnels recherchent ce type de transactions. Ainsi, nous réaliserons souvent de petits financements et nous serons le seul fonds institutionnel, ou l’un des rares, à participer aux transactions. »